lundi 3 août 2009

Mer amère




Je viens de passer deux jours au bord de la mer, dans la maison de mes beaux-parents.

Le problème n'est pas de passer ou non un week-end en amoureux, il réside plutôt dans l'image que renvoie ce couple de ma vie, de mes parents donc, de mon histoire.

Sans qu'ils ne s'en rendent compte, tout, dans leurs propos, donne une vision misérable de mes origines.
Arriverais-je un jour à cesser de rougir de ce passé, si encombrant, qui, certes, me pèse, mais dont je suis, dans le même temps, terriblement fière. Je voudrais réussir à porter la tête haute, ne plus avoir à la baisser, à la cacher, à essayer de me faire toute petite, voire transparente, pour ne pas avoir à répondre.

Quand deux vies sont si éloignées, quand l'une paraît si clairement exemplaire et l'autre n'est faite que d'embûches, de tentatives d'adaptation et puis finalement de rejet, comment ne pas se sentir réduite à rien? Ils ne devraient pas en être la mesure et pourtant, le sont.

Serait-ce le lot de toutes les familles immigrées?

Le problème est plus complexe encore. Mes parents n'appartiennent à aucun clan, à aucune communauté. Ils ont tout rejeté ou presque de leurs propres origines, sauf quelques exquises recettes de cuisine et bien sûr, ce qui les différencie au premier abord, non pas leur couleur, mais leur langue.

Mes parents vivent depuis 30 ans en France mais en parlent à peine la langue. J'ai passé mon enfance à être l'interprète de ma mère (plus) et de mon père (moins). Ils sont étrangers, dans un vieux village provençal, rempli de vieilles familles provençales et ce depuis des siècles. Les rares étrangers qui y vivent sont des Suisses ou des Anglais fortunés qui à leur tour se sont regroupés. Mes parents ne sont ni Suisses, ni Anglais, ni fortunés.

Ses parents à lui ont une position sociale très respectable et ne se privent jamais de le rappeler. Lui universitaire, elle prof en collège ou lycée, tous deux fonctionnaires, tous deux retraités ne manquant de rien, très cultivés, un grand appartement en ville, une maison secondaire au bord de la mer, assez grande pour accueillir toute la famille, poisson, fruits de mer à tous les repas.
"Au début, quand nous avons commencé à faire construire la maison, on vivait comme des péquenots: le sol n'était pas fait, il n'y avait que du béton, on dormait sur de petits matelas en mousse, sauf nous, les parents qui dormions sur ce canapé-lit de chez Ligne Roset (excusez du peu) acheté en solde (ouf, je suis rassurée).

Mes parents ont longtemps vécu en HLM dans le Nord de la France, avant d'acheter une vieille exploitation dans le Sud (leur rêve), dont ils ont transformé une partie en habitation. Vingt ans après, le sol est toujours en béton, plein de crevasses, ils n'ont que des meubles de récupération, dont un canapé tout défoncé qui détruit le dos de ma mère qui y passe des heures à lire et à regarder la télé. Ses parents ne regardent jamais la télé, sauf quand ils sont en "location" à l'île de Ré ou quelque part plus au sud, pour leurs vacances. Ils lisent beaucoup, achètent Le Monde tous les jours.

Mes parents seraient-ils des péquenots?

Mon père est, aujourd'hui, un petit agriculteur qui vivote tant bien que mal, mais c'est aussi un expert en informatique et un ancien économiste. Ma mère n'a même pas le bac. Elle a travaillé jadis, encore là-bas, dans un grand complexe industriel, où elle testait des appareils électroniques dans un laboratoire. Elle n'a plus jamais officiellement travaillé, elle a aidé mon père tout sa vie, élevé ses enfants, un temps. Sans éducation alors? Et pourtant, je l'ai toujours vue un livre dans les mains, elle m'en a tellement lu lorsque j'étais enfant. Elle avait rapporté quelques livres d'art, de son ancien pays, dont je passais des heures, petite, à regarder les illustrations.
Tout cela ne se voit pas. Les apparences sont si souvent trompeuses. Mais peut-être, devient-on finalement ce que l'on projette? Bizarrement, je n'ai jamais rencontré d'autres exilés, destitués de leur trône.

Et moi, et moi et moi?

Je reproduis ce même schéma, études supérieures, culture générale axée sur l'art et la culture, très lacunaire, mais vif intérêt tout de même et quoi? Rien, absence de statut social digne de ce nom. En recherche depuis de longues années. Je ne suis rien, socialement parlant, comme le dit mon cher psy. Pourtant, je cherche, j'expérimente, je rêve, mais cela ne se voit pas. Il n'y a que ce rien, qui m'étouffe.

LinkWithin

Blog Widget by LinkWithin